06.08.1986 – Ouest Lémanique

06.08.1986 – Ouest Lémanique – par Peter Schopf

Concerts à Rolle

Rencontres crépusculaires

Il ne faut pas prendre l’Ensemble Vivaldi pour ce qu’il n’est pas. Surtout si, de celles que l’on présente comme les plus expérimentées du Conservatoire de Mains, il ne reste qu’une petite moitié. Celles que l’on qualifiera de vertueuses semi-professionnelles sont au nombre de six, et quatre chefs de pupitre de l’Orchestre de Chambre de leur ville les complètent La formation de cordes qui en résulte est donc assez quelconque, ce qui, au fond, n’est guère étonnant.
Ce qui l’est plus, en revanche, c’est que malgré que les apprentis-sorciers (qui sont tout de même dix !) officient en un lieu aux dimensions maîtrisables (le temple de Rolle en l’occurrence), ils parviennent parfois à faire oublier leur présence. Quel que soit le concerto de Bach — le fait d’en aligner indistinctement quatre ne rend d’ailleurs guère hommage au Vénitien dont s’inspire l’appellation de l’Ensemble —, c’est un décevant manque d’énergie, de tonus. L’exposé de tant de clarté, de rigueur et d’inventions compositionnelles en est infailliblement compromis. Plus d’une ligne mélodique y perd sa force suggestive, son élégance visionnaire. Le souffle, timide, feutré, peu dense, orienté ou même homogène, ne séduit ni ne fascine. Les pizzicati évoquent l’impassibilité d’une lavandière flamande qui manipule des pinces à linge pour la énième fois…
L’on pâlit probablement de deux facteurs. En premier lieu, les huit violonistes jouent debout. Peut-être est-ce réellement voulu ; en tout cas, à la longue, c’est ankylosant, surtout si l’on n’en a pas l’habitude. Ensuite, et c’est certainement beaucoup moins anodin, l’absence de chef qui, véritablement, dirige la formation.
Ses membres, dès lors, s’ils n ’ont pas l’œil rivé à leur partition (ce qui génère plus des mécanismes que des interprétalions), n’ont plus qu’à se référer aux déhanchements et aux mouvements ondulatoires à vocation vaguement rythmique que les solistes hasardent en jouant.
Catherine Holleville, Béatrice Martin, Emmanuel Depoix et Georges Kiss sont les clavecinistes qui. de leurs pincements nacrés, enrichissent les harmonies des concertos BWV 1061, 1063 et 1065 (respectivement pour 2, 3 et 4 clavecins) ; les flûtes fluettes de Viviane Bohner et d’Anastase Demetriades esquissent parfois des traits dont la couleur jure avantageusement avec l’isochromie ambiante au concerto BWV 1057. Si l’on devait renseigner des anglophones, on dira que le moment, dans l’ensemble, fut « smooth ». Chacun y trouvera son compte.
Enthousiasme commun
On préfère donc se rabattre sur le concert qui, samedi soir, marqua pour les stagiaires la fin de ces olympiades musicales. Qu’en reste-t-il ? La vision d’irrépressibles enthousiasmes, de gracieux sourires, ravis d’offrir les fruits de leurs joutes à une assistance bienveillante, admirative, chaleureuse, d’avance conquise.
Ce qui, effectivement, est remarquable, c’est le bonheur avec lequel tout le monde joue avec tout le monde. Les paramètres de l’âge ou du niveau de maturité technique et artistique des musiciens sont oblitérés L’exercice, dès lors, est celui de la cohabitation instrumentale.
Témoin l’exécution de l’exigeante Canzon de Gabrieti. du Trio de Telemann (charmant et envolé), de la Sonata terza de Castello (truffée d’agréables et joyeuses nuances), de l’exquise première Suite de Broncini, ainsi que a un quatuor de Schubert. Si l’on met à part le très sensible solo de guitare de Manuella Dann. ainsi que l’exécution à 13 (incluses deux très belles voix féminines, dont une âme aimable repérée auparavant en cuisine) de deux mouvements des Larmes de Lassus, l’allègre succession fut donc celle de duos, de trios et ainsi de suite jusqu’au fameux sextuor de violoncelles, réunis dans l’austère Partie à 3 de Cervelle.

Parmi eux, l’excellente et très sensible Nathalie Manser, meilleur instrumentiste (et de loin) de la soirée.

Saluons enfin le courage, mais aussi la performance de la violoniste Emmanuelle Bron (dans l’archi connu troisième final du concerto No 3 de Mozart, la musicalité de Gilbert Jalon et l’aisance de Laetitia Gaumann, dont le violon exhale déjà de très fières intensités.
Peler SCHÖPF
 

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