14.09.2002 – La Presse Riviera Chablais par Raphaël Delessert

Profession : Gardien du temple

A Montreux, le Mountain Studio, antre mythique où Freddie Mercury a notamment chanté ses dernières notes, a été démoli dans le cadre des travaux de réaménagement du Casino. Rencontre avec Dave Richards, sorcier du micro et attachant maître des lieux.

Les ouvrier sont partis pour la pause de midi et ils ont éteint les puissantes lampes qui permettent d’éclairer la salle d’enregistrement du Mountain Studio, déserte et en chantier. Mais la pénombre ne handicape nullement Dave Richards, magicien du son qui hante l’endroit depuis plus de vingt-cinq ans.

Arrivé à Montreux en 1975, quelques semaines après la construction d’un studio alors dépeint comme «le meilleur d’Europe», le jeune Londonien fait ses gammes d’assistant-ingénieur du son en enregistrant «Black & Blue» des Rolling Stones.

Derrière sa table de mixage, il voit ensuite défiler tous les monstres sacrés des seventies, de Deep Purple à Yes, en passant par Emerson Lake & Palmer, David Bowie et Queen, autant d’artistes prestigieux attirés par la renommée et l’acoustique de l’antre capitonné de la Riviera.

Quand Freddie Mercury et sa cour décident d’acheter le Mountain Studio au début des années 1980, Dave Richards est promu ingénieur du son en chef, puis il se retrouve même coproducteur du groupe.

En 1991, il enregistre les dernières notes de Freddie à Montreux, avant que ce dernier ne décède une dizaine de jours plus tard.

Près de trente ans après son ouverture, ce ne sont plus les riffs de Brian May qui lézardent les murs du Mountain Studio, mais les coups de massue des ouvriers qui participent aux travaux de réaménagement du Casino. Mais Dave Richards, devenu propriétaire des lieux, n’est pas condamné à l’exil pour autant; un nouveau studio d’enregistrement est en construction à côté de la pièce qui abrite déjà la régie et qui demeurera intacte.

– A l’instar des amoureux d’EIvis à Memphis, les fans de Queen ne cessent d’affluer à Montreux. Etes-vous devenu le gardien du temple, soucieux de perpétuer le mythe?

– Oui, je suis le gardien du temple, et j’en suis honoré. J’ai souhaité préservé le maximum d’objet du studio avant le début des travaux. Ainsi le bois qui tapissait la pièce a été soigneusement ôté et sera reposé sur les murs du nouveau studio. Le bois absorbe tout, vous savez…. Et en raison de l’énorme intérêt des fans, les débris du carrelage du studio d’enregistrement détruit seront conservés, frappés d’un sceau d’authenticité, et mis en s vente pour un prix modique. Mais je ne tiens pas à ce que l’endroit devienne un musée; des artistes continuent à affluer, et je e m’apprête à apprendre le métier à des jeunes.

– Comment expliquer l’engouement dont a joui le Mountain Studio durant les années 1980?

– A la fin des années 1970, le x studio, au bénéfice d’un matériel de pointe, jouissait d’une extraordinaire réputation. Actuellement, le mélange entre ce matériel analogique – que j’utilise toujours – et des appareils digitaux modernes a crée le «grain» chaleureux des morceaux enregistrés ici. Pour en revenir au eighties, je crois également que les musiciens – qui vivaient souvent dans de grandes villes – appréciaient beaucoup le calme de la Riviera vaudoise. A tel point que certains y achetait même un pied-à-terre.

– Si vous deviez ne vous rappeler qu’un seul bon moment de vos vingt-sept ans derrière le pupitre…

– Il y a eu tellement de bons moments! Peut-être l’enregistrement d’«Under Pressure», que les quatre musiciens de Queen, accompagnés de David Bowie, ont composé sur place une nuit à deux heures du matin dans un esprit de fête et de détente.

– Le plus émouvant?

– Lorsque Freddie Mercury, déjà très malade, a enregistré les vocaux de «Made In Haven», ses derniers mots. Il chantait un couplet, puis rentrait se reposer quelques jours dans son appartement. Sa dernière énergie, il l’a gardée pour ses chansons.

– Les artistes avaient-ils parfois des exigences étranges ?

– Michael Jackson tenait à enregistrer dans le noir, et nous avons dû éteindre et même couvrir les caméra qui reliait le studio à la régie. Sinon, je me rappelle d’un groupe de jazz expérimental qui voulait enregistrer une partie de trombone dans la piscine voisine. Le micro, glissé dans un sac en plastique, n’a pas supporté la prise… Pas un son n’est sorti de l’eau, seules quelques bulles sont montées à la surface (rires).

– Quel musicien rêvez-vous encore d’accueillir?

– Stevie Wonder. Je suis gâté, car tous les autres sont venus…

– Quand le nouveau Mountain Studio ouvrira-t-il ses portes?

– En principe au début de l’an prochain. Pour l’anecdote, Chris ; Rea a beaucoup ri lorsqu’il a appris qu’il y avait un bar à l’emplacement de la future salle d’enregistrement…

– Et qui aura l’honneur de s’y produire en premier?

– Je travaille actuellement sur les compositions de mon amie (ndlr: la violoncelliste montreusienne Nathalie Manser). Peut-; être sera-ce une partie de l’album à venir.

Entretien: Raphaël DELESSERT

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