L’Auditorium Stravinski à Montreux croyait avoir tout connu en matière de manifestations. Le jazz, la musique classique, le ballet, l’opéra, les salons, les expositions… Pourtant, il se trompait puisqu’il va accueillir, le 21 décembre prochain, le premier concert parfumé de Suisse. Un concert où le violoncelle va dialoguer avec des senteurs, des images et des jets d’eau ruisselant de lumière. Signé Nathalie Manser et David Richards pour la musique, Jacques Morand pour la mise en scène et les jeux aquatiques, Michel Roudnitska pour l’ambiance olfactive, ce spectacle propose une promenade dans le monde des sens, un voyage dans te temps, une immersion dans les cultures d’ici ou d’ailleurs, d’hier .et d’aujourd’hui.
Le fil conducteur de ce spectacle, c’est l’évolution de la planète de son origine à nos jours. Conçu sous forme de tableaux, il évoque l’eau, la nature et tes animaux, la spiritualité, la culture, la religion, les grandes inventions, avec une symbiose de tous ces éléments dans un final exaltant la paix et la tolérance. Chacun de ces tableaux est illustré par des images prélevées dans la cartothèque personnelle de Michel Roudnitska.
La Polynésie, l’Afrique et le peuple indien pour raconter notre patrimoine ancestral, l’Asie pour parler de bouddhisme, l’Europe pour célébrer l’amour romantique, les pays arabes pour dire l’islam, l’Amérique pour revenir aux temps précolombiens…
Mais le langage privilégié du parfumeur de Grasse, c’est surtout celui des senteurs. A chaque tableau correspond donc d’abord une recherche, olfactive. La cannelle, le girofle et le santal pour exprimer la sensualité retenue des langueurs musulmanes, l’encens, te santal et te Jasmin pour évoquer le culte de Bouddha, tandis que la nature se pare d’odeurs de forêt, de peaux, d’humus, la rose, quant à elle, symbolisant l’harmonie.
«Cela fait longtemps que je conçois des spectacles multisensoriels», explique Michel Roudnitska. Mêlant senteurs et musique depuis 1996, il s’est inspiré de l’histoire des parfums, de poèmes d’Octavio Paz ou de Nabucco, enchantant le public d’Avignon comme celui de Rotterdam.
«Mais cela fait longtemps aussi que je recherche un groupe de musiciens. On aurait créé quelque chose ensemble au lieu d’emprunter des extraits à droite à ‘ gauche.»
Ce rêve, il s’est matérialisé lors d’une rencontre impromptue avec Nathalie Manser et David Richards l’an dernier. «Cela a été un coup de foudre artistique», s’enthousiasme le parfumeur de Grasse. Il faut dire que la violoncelliste montreusienne imaginait au même moment un spectacle intégral, universel.
«Le monde du parfum, c’est une émotion ajoutée. C’est ce qui manquait au visuel. Mon ambition, cela a toujours été de faire découvrir quelque chose d’authentique, quelque chose qui vient du cœur…»
Lorsque, cet hiver, le congrès de parfumerie de Grasse demande à Michel Roudnitska de présenter un nouveau spectacle pour octobre, ce dernier n’hésite guère. Le concept est prêt au printemps, parachevé entre juillet et octobre. «C’était un vrai défi!» .Pour Nathalie et David aussi. Mais l’accueil réservé à la version courte (images, parfums et musique) du Monde en senteurs lors du congrès Centifolia à Avignon cet automne laisse augurer une belle carrière.
«En Suisse, nous avons cherché un lieu pour présenter ce spectacle», raconte Nathalie.
La Fondation du Marché de Noël de Montreux, qui organise diverses manifestations pendant les fêtes, entre immédiatement en matière. Elle demande toutefois que le Chœur des ados de Villeneuve puisse intégrer au spectacle. Chants et ballets s’incorporent donc au premier projet Lequel va encore élargir sa palette visuelle avec l’entrée en scène de Jacques Morard. Maître de la pyrotechnie, celui-ci avait déjà collaboré avec David et Nathalie. Enthousiasmé par l’aspect novateur du Monde des senteurs, il ne tarde pas à imaginer toute une féerie aquatique, avec la bénédiction de l’Auditorium Stravinski. Dans la foulée, il prendra en main l’orchestration de toute la partie scénique.
«Notre spectacle peut être présenté soit en version courte, soit dans son intégralité», relève Nathalie, qui a bon espoir de se produire en différents lieux en Suisse.
Ce d’autant plus qu’un petit clin d’œil malicieux clôture le spectacle: en final, les ados entonneront Lioba, qui se parera de couleurs assez détonantes.»
Comme bien d’autres musiciens, Nathalie Manser a une formation classique. Mais le rôle d’interprète lui pèse. Elle cherche donc, à un certain moment, à se libérer des codes et des conventions pour laisser parler son âme. La rencontre avec David Richards, un as des tables de mixage, se révélera déterminante sur le plan musical et même au-delà… «Pour moi aussi, le monde de Nathalie, c’est un autre monde», sourit-il. «Je suis plutôt versé dans le rock and roll.» Après trois ans de travail conjoint, un CD intitulé Les Anges sort en 2001. Conseillée et secondée par son compagnon, Nathalie a cette fois l’impression qu’elle a mis des ailes. Quitte à froisser les susceptibilités qui ne toléreraient aucune réécriture de l’Adagio ‘Albinoni… A l’heure actuelle, un deuxième CD est sur le point d’être édité. «Comme quoi il faut savoir suivre sa voie, au lieu d’obéir aux injonctions des maisons de disques!»
Fabienne Luisier Auditorium Stravinski, le 21 décembre.