Nathalie Manser, 30 ans, violoncelliste de talent, se joue de la musique classique pour visiter le ciel, la mer et les cultures d’autres mondes. Un premier disque actuellement dans les bacs.
Pendu à son sac noir, un mille-pattes rose en peluche. A l’intérieur, un porte-monnaie dont la fermeture est cassée, une énorme trousse de maquillage, un parapluie pour les neiges d’hiver et les orages d’été, un peigne, une brosse, des clés, une matraque de poche rassurante les soirs de concert, un portable qu’il semble toujours difficile de retrouver au milieu de mille choses, enfin: des bonbons énergisants. Comme si Nathalie Manser en avait besoin, cette fille est un condensé d’Isostar et son enthousiasme, un cocktail de vitamines qui lui met des étoiles dans les yeux.
Toujours plus haut
Tout a commencé par un violoncelle orange, aperçu à l’âge de 4 ans dans un concert où sa mère mélomane l’avait emmenée. Coup de cœur pour une couleur, puis véritable attirance pour cet instrument sensuel dont les sons graves, voluptueux ou tragiques peuvent traduire un arc-en-ciel d’émotions. A force de tanner ses parents, la voilà dans un cours d’initiation musicale à Lausanne, en attendant que son poignet devienne suffisamment solide pour tenir l’archet. Le conservatoire, le Prix des Jeunesses musicales gagné à Genève quand elle a 15 ans, la virtuosité, la licence de concert, une maturité artistique pour rassurer la famille qui craint que la musique ne nourrisse pas sa femme.
Discipline, technique, dépasser ses limites et sans cesse se lancer des défis afin d’atteindre un nouvel objectif: «Je n’avais pas l’intention de faire une carrière d’orchestre. Secrètement, je voulais composer, il fallait que j’aie tous les atouts en main. J’ai beaucoup travaillé en essayant d’aller au-delà de mes capacités.» Du coup, Nathalie se lance dans le jazz, suit des cours d’impro, histoire de se libérer des contraintes classiques. «Il arrive que ce milieu reste trop élitiste pour envisager qu’il existe des ailleurs. J’avais envie de mettre un pied dans la fourmilière. D’ouvrir les fenêtres pour sentir l’air frais.»
Suffit pas de le dire. Cette jeune femme incapable de se laisser mettre en boîte refuse de se plier aux lois d’un marché frileux et de professionnels qui risquent peu sur le nom de jeunes artistes, surtout lorsqu’ils ri arrivent pas à cataloguer leur travail. A défaut de dégainer des rengaines sans intérêt, les portes se ferment sur des refus. Mais Nathalie tient bon. De toute manière, il est absolument exclu que ses compositions soient transformées en simple produit de consommation qui collent au temps.
De fa en sol, de noire en croche, la chance tourne en 1997 lorsqu’elle rencontre David Richards, producteur artistique, ingénieur du son et propriétaire de Mountain Studio, à Montreux, où Queen et David Bowie ont notamment enregistré. Entre la passion de l’une et l’expérience de l’autre, pas une dissonance, d’autant plus lorsque l’amour se mêle de leur histoire. De cet accord parfait est né un album, Les Anges, qu’elle qualifie comme un panaché de musiques ethniques. «En voulant jeter un pont entre plusieurs cultures dans un message qui fait appel à la tolérance, j’ai réalisé ma légende personnelle. Elle est encore plus belle que je ne l’avais imaginé.»
Infatigable
Ouverte, curieuse du monde et de ses différences, soucieuse de l’oppression de certaines minorités, saluant le courage des hommes et des femmes d’Arménie ou d’ailleurs, Nathalie Manser emprunte des chemins de traverse, fait l’école buissonnière pour trouver des rythmes qui se passent de métronome. Elle marie des sons tibétains au Requiem de Fauré, flirte avec Che Guevara, badine avec Mozart avant de retrouver Bach, s’en va à la conquête de l’espace, plane dans les eaux d’un aquarium, prend la vague d’une révolution, revisite un Adagio dans un voyage musical où le langage devient soudain universel. Le disque se trouve dans les bacs mais déjà Nathalie a d’autres projets. Associée à Jacques Morard qui représente, via « J’imagine » à Montreux, la partie suisse de Aquatique Show International, elle se prépare au spectacle à la fois sonore et visuel (lasers, feux d’artifices) qui aura lieu le 1er août prochain à Crans Montana, puis ce seront des tournées en Asie et en Suisse. Des expériences de plus en attendant de réaliser un autre rêve: composer des musiques de films sous l’œil bienveillant d’Ennio Morricone qu’elle admire depuis toujours.
Chez Nathalie, ni demi-mesure ni demi-ton, elle avance nez au vent, tête en l’air dans une vie qu’elle voit en technicolor en se laissant guider par une volonté d’acier. Une force à l’image de ses mains, larges, puissantes, qui visiblement savent à quoi elles tiennent. C’est aussi le contraste entre une maturité qui s’est forgée à longueur de gammes, l’humilité d’un travail constant et une forme de spontanéité enfantine qui peine à mettre ses mots en sourdine: «J’ai un côté rebelle. Si j’étais née au Moyen Age, on m’aurait brûlée.»
Autres mœurs, autre tempo, avec ses longs cheveux blonds qui tombent en boucles, sa voix riante et son sourire large, cette belle des champs n’a rien d’une sorcière, ce serait plutôt une fée qui, lorsqu’elle fait corps avec son violoncelle, devient aérienne, magie des notes et du talent qui ont le pouvoir d’envahir l’espace dans l’instant du plaisir partagé. La partition de Nathalie Manser semble illimitée, sans doute parce que sa passion lui donne des ailes.
Véronique Krahenbuhl pour le magazine Femina – Le Matin Dimanche – du 20 mai 2001